Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article TERMINUS MOTUS

TERMINUS MOTUS [Voy. pour les Grecs uolosj. La borne des champs était considérée à Rome, honorée d'un culte particulier' [ FAMINas]. Le déplacement ou le renversement des bornes (terminus motus) a été traité à l'origine comme un sacrilège, puni, d'après la loi de Numa, par la consécration à Jupiter du délinquant et de ses boeufs, c'est-à-dire par la peine de mort 2. On n'a pas d'exemple de l'application de cette peine àl'époque historique. Plus tard les usurpations de terrain, par déplacement, enlèvement de bornes, entre particuliers, relèvent du droit civil et de la ramera REGUNDARCM ACTIO. L'action publique de termino moto 3 s'applique essentiellement aux bornes des routes, des chemins, aux délimitations entre le domaine public et les terres privées. La loi de César pour la colonie de Capoue, en 53 av. J.-C., TER 123 TER punit toute modification illégale des limites, decumani, fossae, d'une amende de 4000, et le recul ou l'enlèvement d'une borne d'une amende de 500( sesterces, au profit de la colonie '. La première disposition se retrouve, mais avec une amende de 1000 sesterces, dans la loi de César pour la colonie Julia Genetiva de 44 av. J.-C'. L'action est populaire et va soit devant un fonctionnaire spécial, un curator à Capoue, soit devant les magistrats municipaux et des récupérateurs. Sous l'Empire, pour cc délit, une loi Julia agraria [Lux, p. 1146], attribuée à Caligula, édicte une amende de 50 aurei contre celui qui a déplacé des bornes. Hadrien frappe les honestiores de la relégation à temps en tenant compte de leur âge, les humiliores de deux années de travaux forcés ou de peines corporelles selon les cas ; les peines sont ensuite augmentées et comportent la relégation à vie, avec la confiscation du tiers des biens pour les honestiores, les travaux forcés pour les humiliores, la mort ou l'envoi aux mines pour les esclaves. On punit également ceux qui, pour obscurcir la situation, changent l'état matériel des lieux, par exemple défrichent un bois ". l'un une divinité, l'autre la fête célébrée en son honneur, nous reportent aux premiers temps de Rome et à l'organisation de la propriété individuelle, sous la garde et la sanction des dieux. Cicéron, caractérisant à ce point de de vue la royauté de Romulus, dit simplement qu'il partagea entre les citoyens les terres conquises sur l'ennemis. La tradition religieuse attribue aux rois sabins, T. Tatius et Numa, l'institution àlafois pratique et idéale qui règle ce partage, et qui le garantit contre tout empiétement 2. C'est-à-dire qu'ils inventèrent les termina ou termini, bornes en pierres qui remplaçaient, sans les faire disparaître, les monceaux de pierres et les simples pieux ou troncs d'arbres des temps primitifs, marquant les limites des champs. Une consécration pieuse les plaçait, non pas seulement sous la surveillance du magister pagi, mais sous la protection de Jupiter, qui est par excellence le dieu de la Bonne Foi [h'IDrs, SEMO SANCUS] et le gardien des conventions jurées Un dieu spécial, du nom de Terminus, ne figure nulle part avant l'Empire, pas même dans le catalogue des Indigitamenta où il y avait place pour tant d'influences divinisées. L'attribution à Jupiter du patronage des termini marque l'importance que les organisateurs de Rome attachèrent à cette institution. Dans la cella médiane du temple de la Triade capitoline, un cippe était encastré, tout à côté des statues de marbre des dieux, dont Terminus n'était que le vocable ; et au-dessus, dans le toit même, était pratiquée une ouverture, parce qu'il était d'usage de sacrifier à Dius Fidius et à FInES, de jurer par leurs noms, à ciel ouvert 4. Une légende de beaucoup postérieure fit de Terminus un dieu spécial, antérieur au sanctuaire du Capitole ; elle racontait qu'en compagnie de JUVENTAS, il refusa de céder la place à Jupiter et qu'on les y maintint, parce qu'ils incarnaient l'immutabilité et l'éternelle jeunesse de cette tête de l'empire ". Cependant c'est seulement après la chute de la République que l'on rencontre des inscriptions en l'honneur d'un Terminus distinct de Jupiter'. L'usage des bornes consacrées pour la délimitation des propriétés individuelles est commun aux Latins avec les Étrusques et avec les Grecs : ceux-ci [t'oxos, IIEIIMAU] adoraient Zeus sous le vocable de "Op;o;; dans les livres sacrés des premiers, Jupiter était l'auteur de l'abornement en général et l'inspirateur de la science des agrimensores qui se transmit d'eux aux Romains C'est dans le recueil des Gromatici veteres qu'il faut chercher le détail des règles suivies par eux, ainsi que des formes très variées données aux termini et des noms qui par suite leur étaient attribués'. Un texte curieux qui a tous les caractères d'une traduction y a pris place ; l'auteur du livre d'où il est tiré est un certain Vegoia qui l'adressa à Arruns Veltymnus, personnage étrusque d'ailleurs inconnu. Le fragment venu jusqu'à nous a la forme d'une sorte d'oracle ou tout au moins de discours sacrés. Après avoir rappelé que Jupiter en personne délimita les champs, afin de refréner l'avidité des hommes et d'empêcher le bouleversement de la société, il menace des plus durs châtiments quiconque s'aviserait de déplacer des bornes. L'esclave qui le ferait par mégarde sera puni par le 'naître; si celui-ci est coinplice, sa maison périra ainsi que sa race; sur ses cultures se déchaîneront tous les fléaux de la nature. Quant à la pratique générale de ce crime, elle poussera les peuples à se déchirer dans des luttes fratricides. Nous retrouvons l'écho de cette exsecratio dans l'antique tradition qui voue l'homme coupable d'avoir fait sauter la borne d'un champ à la colère de Jupiter : sacer 10. L'attelage même, avec lequel l'acte aura été commis, subira ce sort ". Des formules analogues, d'un caractère tout aussi religieux, se retrouvent chez d'autres peuples primitifs, particulièrement chez les Germains". Il va de soi que la piété des Romains, pour graver dans les esprits la sainteté de cette délimitation des propriétés, inventa des pratiques et institua des fêtes tant publiques que privées13. Toute opération d'abornement commentait par un sacrifice auquel tous les intéressés prenaient part. On immolait une victime animale, dont les chairs étaient livrées aux flammes ; dans le trou destiné à recevoir la borne, on avait fait égoutter le sang de TER 124 -TER la victime; puis on yjetait des aromates et des graines. On brûlait par-dessus des rayons de miel avec du vin, d'autres offrandes dont les débris y étaient enfouis ; et surcesdébris,qui pouvaient à l'occasion servir de témoins, on plaçait la pierre qui marquait les confins'. De plus, le roi Numa institua une fête annuelle à laquelle prenait part le pagus tout entier. Elle faisait partie du groupe des fêtes, et même elle y apportait une conclusion, qui, dans le mois de Février, avait pour but de purifier la ville des souillures de l'année précédente ; les Terminalia succédaient le 9.3 du mois aux LUPERCALIA et, aux QUIRINALIA, dont l'une visait la purification de la cité en général, l'autre, celle des Curies, les Terminalia ayant spécialement pour objet de renouveler la force protectrice de toutes les bornes qui, par le respect des propriétés, maintenait l'ordre public 2. A Rorne, cette fête tomba en désuétude quand l'AGER ROMANES prit une extension trop grande pour qu'elle fût pratiquement possible 3. Elle était remplacée alors par un sacrifice offert sur la via Laurentina, au vie milliaire qui formait la limite de l'ancienne banlieue cultivée. Mais dans les milieux ruraux subsistait encore, au temps d'Auguste, une fête privée qui réunissait les voisins; on sacrifiait un porcelet ou un agneau et l'on scellait les bons rapports dans un repas pris en commun. Le dieu qui y présidait était encore Jupiter Terminus, comme aux anciens temps ; mais nulle part il n'est question d'honneurs rendus à un dieu spécial du nom de Terminus, qui cependant est connu par des inscriptions. Il n'existe d'autres représentations de Jupiter Terminus que celle qui nous est fournie par un denier (fig. 6811) au nom de TerentiusVarro, le célèbre polygraphe, lequel le fit frapper au temps où il était proquesteur de Pompée. Il porte au droit la tête de Jupiter chevelu et barbu, suivant le type hellénique encore archaïque 5. Le peu de faveur dont jouit le Terminus tout court s'explique dans une certaine mesure par la popularité de sILvANUS, vénéré partout en qualité de tutor finium, jusqu'au déclin du paganisme. J.-A. tilla.